Economie circulaire : mer, littoral et sardine

Publié le 23/09/2019 | Economie circulaire

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Journée de rencontre entre universitaires et entreprises, le 6 septembre à l’IUT à Quimper, à l’occasion d’un séminaire sur l’économie circulaire, autour de la mer et du littoral. Et ce, en lien avec la thèse de Raphaëla le Gouvello, qui a porté sur les systèmes socio-écologiques de la pêche, dont, en particulier, celui de la sardine en Cornouaille. Muriel Maillefert, professeure en management des territoires à l’Université de Lyon 3 et Vincent Augiseau, enseignant-chercheur à l’Ecole des métiers de l’environnement de Rennes ont introduit la journée en resituant ce qu’est l’économie circulaire. Née, dans les années 90, avec les enjeux de développement durable et leur dimension territoriale, elle s’appelait alors « écologie industrielle », puis « écologie industrielle et territoriale ».

Gaspillage des ressources

Au début des années 80, l’écologie industrielle portait sur la recherche d’économies financières, sur la base de flux propres à une entreprise. Mais, ces démarches ont manqué d’efficacité, car négligeant le facteur humain… C’est alors qu’est née l’écologie circulaire à la française, basée sur une démarche interdisciplinaire, qui s’intéresse aux échanges et à la circulation des matières, et qui intègre la dimension sociale. Et ce, dans le but d’optimiser les ressources, qu’elles soient matières ou énergie, tout en impliquant les acteurs et en développant les interactions. Car l’économie circulaire ne peut se réduire à l’extension d’une politique de déchets, ni être une simple boucle, comme exprimé par Olivier Denoual, animateur national du DLAL FEAMP. En revanche, l’optimisation de l’utilisation des ressources n’a pas pour objectif de permettre la croissance de la consommation ! L’économie circulaire implique donc transformation sociale et changement du fonctionnement de la production.

Analyse des flux et du cycle de vie

Pour mener une démarche d’économie circulaire, il faut tout d’abord déterminer le champ pris en compte, et, en particulier, géographique. Au sein de ce territoire, on réalise une analyse des flux matières, pour les quantifier, les caractériser et, ainsi définir la dépendance du champ étudié vis-à-vis de l’extérieur. Cependant, nombre de données, internes aux entreprises, sont difficilement accessibles, d’où des résultats imprécis. La volonté des acteurs est alors un ingrédient important. De la même façon, si, côté transformateurs, existe un attachement, aux ports, sur la base d’éléments historiques, tels la logistique et l’approvisionnement, c’est leur volonté de maintenir l’emploi sur la zone littorale qui prime ! La filière de transformation des produits de la mer étant de moins en moins dépendante des débarquements locaux, l’implantation historique n’est plus forcément pertinente ! La perspective est aujourd’hui plutôt celle du développement de projets territoriaux de valorisation de ressources marines peu ou pas exploitées.

L’analyse du cycle de vie est une donnée également essentielle, pour éviter que des économies, d’un côté, n’engendrent des dégâts environnementaux de l’autre ! L’INRA a étudié celui de la pêche pour lister et évaluer les conséquences environnementales de toutes les activités liées, du cycle de vie du navire lui-même à celui du débarquement de la pêche. Cela suppose de géolocaliser et de positionner les activités, les flux matières et énergie dans le temps et l’espace et de les territorialiser. Cette analyse a permis de faire une comparaison avec le bilan environnemental d’autres sources de protéines.

Optimiser l’utilisation des ressources

Sujet central en économie circulaire, l’optimisation des ressources passe par la valorisation des sous-produits. En ce qui concerne la pêche, des solutions techniques sont, en partie, connues : augmenter le tri et le stockage à la source, la collecte, mobiliser les différents acteurs de la filière, tels les mareyeurs, collecteurs, valorisateurs, hall à marée, ports, collectivités, agences de développement, centres de transfert… L’implication des transformateurs est essentielle dans une concertation au sein de la filière : horizontale avec la logistique, verticale en répartissant mieux la valeur ajoutée, sur des modèles de coopération, qui articulent valorisations de niche et valorisations de masse.

Des gisements de ressources atomisés…

Deux études, menées en 2010, ont mis en évidence que seuls 50% des tonnages péchés sont directement consommés, alors que les coproduits offrent des molécules valorisables : protéines, huiles, arômes… La première, réalisée par 15 laboratoires de l’Ouest littoral (projet « Gestion Durable »), avec des associations interprofessionnelles, a mis en évidence un gisement non valorisé de 46 000 tonnes de sous-produits, dont la moitié en Cornouaille, contre 80000 tonnes estimées avant l’étude. Soit une forte proportion de sous-produits non triés ou non identifiés, avec des valorisations, principalement de masse, sur l’alimentation animale, en particulier. Et avec des différences marquées entre territoires et une grande dispersion géographique et le long de la filière chez les transformateurs, les détaillants, ou encore à bord des navires … Cette dispersion des gisements, qui plus est, matière première fragile, engendre des coûts logistiques de stockage, réfrigération et transport souvent rédhibitoires qui génèrent peu de valeur ajoutée. De plus, les données sont détenues par un nombre limité d’acteurs : tonnages, qualité et valeur.

Des co-produits valorisables

La deuxième étude (projet européen « Biotecmar ») a étudié les gisements jusqu’à la valorisation même des co-produits. Seize chaînes de valeur ont été identifiées : collagène de poisson, jus de moule, pigments d’algue rouge… puis cinq études de faisabilité technique et économique ont montré un fort potentiel de développement de nouveaux composés en nutrition humaine et animale, cosmétique… Et ce, avec un développement croissant d’applications de niche à très haute valeur ajoutée, en parallèle à une production de masse.

Retrouvez les résultats des actions pilotes sur www.biotecmar.eu

La sardine en Cornouaille

Le système socio-écologique de la sardine en Cornouaille, a été le champ d’étude de Raphaëla le Gouvello dans une partie de sa thèse. L’objectif étant l’amélioration de l’utilisation des ressources marines, en menant une démarche d’économie et de développement durable. L’étude du cycle de vie a porté sur la durabilité de l’ensemble de la chaîne, amont et aval compris. Et sur les piliers du développement durable que sont l’environnement, le social et l’économie, ainsi que sur la gouvernance. Les éléments étudiés : l’importation de sardines en Cornouaille, la pêche à la bolinche, la notion de qualité, la fin de vie, l’exportation, la mise en conserves, etc. Le diagnostic a révélé que 46 % du total de la bio masse est « importée ». Dans les champs d’actions possibles, l’un des objectifs pourrait être de passer à 35 % et/ou de rechercher plus de valeur ajoutée sur le territoire constitué par la Cornouaille.

Co-produits, sous-produits : valoriser les bio-ressources

Abyss Ingrédients, société de 9 personnes, basée à Quimper, développe des produits en santé à partir de bio-ressources marines bretonnes, pour les marchés des compléments alimentaires et en cosmétique. Abyss utilise par exemple, les arêtes de merlu, le cartilage des poissons gris pour collagènes, les écailles des poissons bleus, les têtes des sardines pour en extraire les principes actifs. Cette matière première est utilisée au mieux et les procédés qu’Abyss utilise ne produisent pas de sous-produits. Abyss Ingrédients a, notamment créé un ingrédient pour la mémoire, pour retarder le vieillissement, dans le cadre d’un projet collaboratif Valorial, mené avec plusieurs partenaires, dont La Maison Chancerelle, fournisseur de la matière première des co-produits de sardines et qui était présente lors de cette journée, en la personne de son président de Conseil d’Administration.

La conserverie Furic et La Maison Chancerelle

Avec la conserverie Furic, dont le dirigeant Sten Furic a témoigné, ce sont deux entreprises familiales, fortement ancrées dans l’histoire patrimoniale et entrepreneuriale de la Cornouaille qui sont impliquées dans l’économie circulaire. Sten Furic qualifie d’ailleurs désormais son activité de transformateur de poisson, plutôt que conserveur seul. Avec des tendances de fond, telles la diversification, comme à l’origine de l’entreprise, ou la traçabilité, le discours sur l’origine, la valeur de l’usage… L’économie circulaire en fait partie et induit une évolution du rapport à la matière première, à son origine, à sa qualité et à ce que l’on en fait, mais également du rapport de l’entreprise au territoire, avec le secteur du tourisme, les partenariats avec les milieu associatif et culturel, l’éducation, etc.

Pour répondre aux attentes sociétales et nutritionnelles de l’apport unique des protéines marines dans l’alimentation, La Maison Chancerelle a décidé de se positionner sur des produits de qualité avec une responsabilité sur la pêche, la production et l’emploi. L’entreprise est certifiée ISO 14001 et travaille sur le label MSC, en lien avec des ONG telles Greenpeace ou WWF, pour la gestion de la ressource, et valorise 90 % de ses déchets. Sur la dimension sociale, elle a élaboré une charte de bonnes pratiques, avec la participation à des associations telles Gestes propres (prévention des déchets et évite qu’ils ne se retrouvent en mer), SNSM. Elle travaille aussi sur l’emploi et la formation avec des entreprises locales, car elle manque de main d’œuvre qualifiée.

Les deux conserveries sont conscientes qu’il faut partager des projets avec d’autres entreprises qui peuvent être concurrentes et se doter de moyens en interprofessionnel. Et leur démarche en économie circulaire impacte aussi le tourisme… car l’économie circulaire va bien au-delà de la seule valorisation de co-produits !

Le tourisme et l’économie circulaire

D’une économie circulaire axée sur l’économie et la valorisation de la ressource, on passe aujourd’hui à une vision plus transversale et un lien avec le développement territorial. Parce que le poids de l’histoire du port de Douarnenez sur la sardine est aussi son point faible, car elle est restée longtemps mono-active ! Mais l’office du tourisme de Douarnenez mise aujourd’hui sur cette histoire et tire parti de cette implication d’entreprises agroalimentaires sur son territoire, en créant le chemin de la sardine : un circuit du patrimoine, des visites guidées, contées, le port de pêche… A l’image de ce qu’a démarré Haliotika il y a longtemps qui fut précurseur de cette forme de diversification des territoires et d’ouverture vers une économie plus circulaire !

Circuits courts et de proximité

La consommation est également concernée par l’économie circulaire. Quelques exemples d’actions qui agissent sur l’aval de la chaîne, via les circuits courts et de proximité ont été présentés :

  • L’AMAP de l’Ile d’Yeu se fournit auprès de 4 navires de la petite pêche et vend à 2400 acheteurs autour de Nantes qui réservent des paniers « surprise » variant selon les saisons. Et qui achètent plus cher mais pour des motifs éthiques, politiques, sociaux relationnels…
  • Terres de Pêche à Loctudy, mareyeur qui commercialise auprès des poissonniers, de la grande distribution, des grossistes… et vend aux particuliers des paniers de produits de la mer, sur la Cornouaille. Deux paniers « surprise » sont prévus, dont un haut de gamme, avec des produits de saison du Finistère, dont 80 % de Cornouaille. Le fichier de clients potentiels est de 4000 personnes.
  • La plateforme mangeons-local.bzh, auparavant Locavore de Cornouaille promeut les produits locaux, la vente directe et les circuits courts. Elle a plus de 11000 abonnés en Bretagne sur facebook et fonctionne sur la base du bénévolat citoyen. 200 producteurs y sont présentés.

Les signes de qualité

Les signes de qualité AOP (Appellation d’Origine Protégée) et AOC (Appellation d’Origine Contrôlée – France uniquement) sont des démarches de qualité plus collectives et inclusives que le Label rouge ou le bio. De par leur identification à un territoire et à une origine, ces appellations sont en phase avec les attentes des consommateurs. Depuis 2011, les moules de bouchot de la Baie du Mont-Saint-Michel ont leur AOP, avec pour objectif l’amélioration des pratiques et un meilleur accès aux marchés, en proposant un produit de qualité et tracé. Cette AOP a notamment bénéficié de l’identité forte du territoire, de la concordance entre le système mis en place et la délimitation du territoire AOP et d’un soutien institutionnel fort… En Cornouailles anglaise existe une IGP (Indication Géographique Protégée) de la sardine. Le plus de l’AOP par rapport aux autres appellations est qu’elle prévoit toutes les étapes de production au cahier des charges.

La promotion de la qualité et de la valeur ajoutée est soutenue par le DLAL FEAMP (fonds européens dédiés à la Cornouaille). Il permet, d’accompagner des projets innovants structurants et collectifs en lien avec la pêche et l’aquaculture : installation, mise en valeur des circuits courts, communication sur les métiers, préservation de la biodiversité et de l’environnement, aménagement d’un espace d’accueil pour faire connaître les savoir-faire et les produits de la mer locaux. Renseignements auprès de carole.escaravage@quimper-cornouaille-developpement.fr

L’Organisation Professionnelle Pêcheurs de Bretagne accompagne les démarches de labellisation MSC qui, dans un contexte de tension, entre bolinche et ligneurs, a conduit à un apaisement. Elle répond à la volonté de faire reconnaître la durabilité de l’activité, de revaloriser l’image du métier et est un atout commercial majeur en valorisant une production locale. En ce qui concerne la sardine, la pêcherie est très intégrée au tissu local de Bretagne sud, mais la ressource est, par essence, mobile. Des travaux sont menés par l’IFREMER sur les gisements, en collaboration avec les conserveurs et transformateurs, en particulier. Le processus d’évaluation du label MSC devrait être revu d’ici la fin de l’année.

Retrouvez ici l’intervention de Greenpeace sur le label MSC lors des Assises de la Pêche et des Produits de la mer en 2017.

L’après-midi a été consacrée à une réflexion collective pour élaborer des directions futures de recherche et développement, des actions qui semblent utiles pour approfondir les sujets de la matinée.

La journée était organisée par un comité scientifique constitué de Pascal Le Floc’h, professeur à l’IUT de Quimper, Raphaëla le Gouvello, Patrick Bourseau, Muriel Maillefert, le labo AMURE de l’IFREMER et l’UBO, avec l’appui de Quimper Cornouaille Développement. La conférence ainsi que la thèse de R. le Gouvello ont été soutenues financièrement par la Fondation de France.

Télécharger le programme de la journée et ses intervenants

A chaque sujet traité, il y a possibilité de télécharger la présentation diaporama, en cliquant sur le lien.

Rédaction : Dominique Pennec, Quimper Cornouaille Développement. Remerciements à Raphaëla le Gouvello.

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