L’autonomie alimentaire des régions : vers une économie bas carbone et résiliente

Publié le 27/10/2022

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Le changement climatique, la crise énergétique, les confinements… La conférence ialys organisée par la Technopole Quimper-Cornouaille les a réunis au sein d’une problématique commune : l’économie bas carbone, appuyée sur la capacité des territoires à l’autonomie alimentaire ! Car, selon le cabinet Utopies, engagé depuis une dizaine d’années sur les problématiques de la transition écologique, ces enjeux trouveront leur solution dans la souveraineté alimentaire. A l’appui d’un état des lieux concret de l’autonomie alimentaire en France et, plus particulièrement en Bretagne, les exemples de projets menés sont venus appuyer la capacité de notre territoire à y arriver ! Avec des acteurs engagés sur des réflexions, des actions, des collaborations, des partenariats. L’introduction d’Annabelle Richard, directrice conseil territoires du cabinet Utopies, a permis de clarifier la notion de souveraineté, ses contours chiffrés et de se projeter sur des méthodes utiles aux entreprises et aux acteurs du développement économique, au sens large.

Une accélération des fragilités d’avant crises

La grande distribution, symbole actuel de l’abondance est fragilisée, depuis le premier confinement de 2020. Elle affiche désormais une prospérité de façade, les ruptures de stocks et l’inflation des produits issus des sécheresses et de la crise énergétique étant venus s’ajouter aux ruptures dus à l’épidémie de covid : l’autonomie alimentaire est menacée. Les surfaces agricoles, qui ont diminué de moitié depuis 1950, connaissent une baisse de rendement due aux sécheresses : un degré de plus engendre – 6%. Des sélections de productions mieux adaptées sont testées, telles des semences anciennes plus résistantes, qui pourraient être remises au goût du jour. Christelle Houdard, directrice générale adjointe de la coopérative Le Gouessant a cité l’exemple du sorgho mis à l’essai pour étudier le remplacement du maïs, grand consommateur d’eau.

Culture de sorgho

Autonomie alimentaire et produits transformés

L’autonomie alimentaire dépend également d’une population agricole qui devrait être divisée par deux d’ici 5 ans, avec des transmissions difficiles. Et ce, notamment parce que les revenus sont insuffisants… Enfin, le déficit d’autonomie alimentaire peut également être structurel comme dans les aires urbaines, à l’image de l’Ile de France dont l’autonomie agricole est de 1%, son autonomie globale étant de 13%. Car l’autonomie alimentaire ne se mesure pas seulement à l’aune de son agriculture. La consommation alimentaire française se compose, en effet, de seulement 7% de produits agricoles bruts, pour 53% de produits transformés, 40% étant consommés en restauration. Les filières en productions brutes, mais aussi en produits transformés doivent donc être prises en compte.

Une échelle d’analyse régionale

Le cabinet Utopies juge les régions comme la bonne échelle d’analyse, considérant que les conseils régionaux ont la compétence économique nécessaire pour agir sur l’ensemble de la chaîne de valeur du produit brut à l’assiette, en intégrant la transformation et les services tels que les équipementiers, les intrants, etc. Bien identifier les potentiels de ressources est un préalable ! Pour faire face aux difficultés d’approvisionnement, aux aléas climatiques et à la menace de taxation carbone du transport, le système centralisé actuel doit muter vers un modèle local plus distribué, selon Utopies. Non seulement l’autonomie en sera renforcée, mais les actions devraient mener à la création d’emplois locaux, au financement de la transition agro-écologique, etc.

Les spécificités bretonnes

Pour atteindre l’autonomie alimentaire, les régions ne sont, bien sûr, pas égales : pour une moyenne nationale de 17% d’autonomie agricole et de 35% d’autonomie globale, la Corse n’atteint que respectivement 6% et 26%. En tête des régions françaises, la Bretagne a, quant à elle une autonomie globale de 46%, de 30% en agriculture et de 50% sur la transformation. Son autonomie potentielle est estimée par Utopies à 262% ! La production régionale pourrait donc répondre totalement aux besoins locaux de consommation et participer aux besoins des régions structurellement déficitaires. Mais pour atteindre cette autonomie la diversité des productions reste essentielle pour la résilience. Utopies, convaincu que l’alimentation est une source de développement économique conjointe, plaide pour des réallocations, des parcours de reconversions, par filières !

Agir par filières

En ce qui concerne les productions majeures en transformation de produits de la mer, en produits à base de volaille, et en lait, beurre, yaourts, soupes, jus, elles méritent d’être confortées. Des productions tout aussi fortes, mais majoritairement exportées (hors de la Bretagne) nécessiteraient d’être réorientées vers le local : céréales, farine, malt, assaisonnements. Enfin il conviendrait de concentrer les efforts sur les filières dont la production est déjà insuffisante pour le local, comme les fruits, le raffinage d’huiles ou la fabrication de céréales pour le petit déjeuner. Et ce, en identifiant les compétences transférables, d’un domaine existant vers une diversification. A titre d’exemple, pour appuyer la production de pâtes, dont la France est le premier importateur au monde, existent des secteurs parents susceptibles de les aider : la conduite d’équipements, l’ingénierie et la qualité industrielle, le personnel de cuisine, la manutention, la préparation et le conditionnement, les technologies, les machines et les intrants.

Des connexions et des échanges

La Bretagne a la base nécessaire pour son autonomie : des coopératives et des industries construites pour transformer les ressources locales et bien réparties sur tout le territoire. Sa capacité à rebondir est liée aux connexions présentes entre acteurs sur le territoire. Car c’est avant tout le manque d’échanges entre activités locales qui pose souci en cas de crises, selon Utopies : un grain de sable peut enrayer le système. Et, en particulier, dans les territoires qu’Annabelle Richard nomme des « passoires », c’est-à-dire des territoires qui « réimportent » des produits transformés dont ils avaient vendu les produits bruts et qu’ils payent bien évidemment plus cher, avec une valeur ajoutée déficitaire. C’est en particulier sur ce terrain-là que se situent les marges de progression.

 Une valeur ajoutée qui reste sur un territoire

Telle est la démarche menée par les Fabulous French Brasseurs, dont le Président Marc-Olivier Bernard dirige également la Brasserie de Bretagne, à Concarneau. Face aux 3 gros opérateurs internationaux, les brasseries régionales cherchent des solutions communes locales. Tout d’abord, pour favoriser le développement de l’orge bio, des accords ont été passés avec des agriculteurs, pour une rémunération plus élevée que le marché. Puis c’est le process de maltage (germer, sécher) historiquement belge qui a mobilisé les brasseurs bretons. Cela a mené à la création en 2018, d’une malterie à Scaër. Bien que concurrents, 40 brasseurs bretons se sont alliés pour garantir à la valeur ajoutée de rester sur le territoire !

Les Fabulous French Brasseurs agissent aussi en aval de la chaîne, sur les bouteilles. Car, si le verre est grandement recyclable et recyclé, sa réutilisation reste préférable, mais uniquement si les bouteilles ne vont pas au-delà de 50kms, pour être lavées, selon Marc-Olivier Bernard. Une mutualisation entre brasseurs est donc nécessaire : la réintroduction de la consigne avec l’association Distro est lancée. La collecte et la ramasse du verre ainsi que les outils nécessaires (casiers) sont en réflexion. Ces changements doivent être pris en compte par les collectivités, aujourd’hui responsables de la collecte…

Ecologie industrielle territoriale

Ces actions au soutien de nouvelles filières agricoles ou de mutualisation d’outils font partie des démarches exemplaires qui participent de la création de modèles économiques résilients. Au stade amont, les exemples de valorisation des coproduits de poissons et de produits de la mer sont légion en Bretagne, pour développer de nouveaux produits alimentaires ou cosmétiques, souvent grâce aux biotechnologies. Annabelle Richard a présenté la démarche d’écologie industrielle territoriale, menée par le cluster « Iceland Ocean » en Islande : 80% du poisson y est désormais valorisé contre 50 % en moyenne en Europe. Les coproduits des poissons sont utilisés en pharmacologie, nutraceutique, cosmétique et électricité géothermique.

Marketing et innovation produit

En complément d’un outil commun industriel et de livraison à des producteurs laitiers, la marque « J’achète Fermier » propose également un outil marketing à travers leur marque ombrelle, tout comme « Invitation à la ferme », en Bretagne, qui réunit des producteurs laitiers de yaourts bio. Au croisement de l’amont et du marketing produit, Miyokos, producteur de fromages et de beurre végétal aux Etats-Unis, accompagne ses fournisseurs producteurs laitiers qui souhaitent explorer des alternatives végétariennes. Et c’est aussi à ce stade-là que se joue la transition alimentaire : s’adapter au goût des différents publics, en travaillant sur l’innovation produit.

La sécurité sanitaire

A l’appui de l’exemple du lait végétal Ripple, présenté par Utopies, Anne-Sophie Guillard responsable du service Food & Pack Solutions à l’ADRIA a rappelé leur rôle en sécurité sanitaire dans ce domaine. Car intégrer de nouveaux aliments, par exemple, végétaux, implique des changements de formulation qui peuvent générer des problèmes de sécurité… L’Adria travaille aussi sur l’impact des procédés et équipements de conservation sur les consommations énergétiques. L’accompagnement des entreprises passe par les connexions de pratiques et connaissances de différents métiers, en lien avec d’autres acteurs locaux.

Les démarches bas carbone de l’agriculture et de l’élevage en particulier

L’impact écologique de l’élevage reste en Bretagne une donnée à traiter selon Utopies. Dans ce domaine, la coopérative Le Gouessant accompagne ses adhérents vers l’objectif « zéro déforestation » de l’aliment pour bétail. Est principalement visé le soja qui doit être remplacé progressivement par du colza ou du tournesol. Mais les démarches de développement durable portent aussi sur les consommations d’énergie et d’eau au travers de recherches sur le séchage des productions aquacoles, ou sur le développement de nouvelles cultures et l’allongement des rotations pour améliorer les rendements et préserver la biodiversité comme avec le tournesol, le sarrasin, les pois, les féveroles…

Viser la neutralité carbone

La Chambre d’Agriculture elle-même apporte soutien, formations et des services techniques sur toutes ces questions, mais les actions menées sont insuffisamment connues, selon Mathieu Merhle, chargé de mission innovations. Des travaux en recherche fondamentale initiés en 2005, ont été suivis de recherche appliquée dans des fermes pilotes et expérimentales telle Trévarez, ferme bas carbone, et ont mené au déploiement d’actions bas carbone avec les agriculteurs, mais aussi les collectivités sur les questions de bocages par exemple.

Ces expérimentations ont nourri les réflexions menées dans le cadre de la démarche Prospective 2040, de la Chambre d’Agriculture. Cette démarche permet d’imaginer des voies d’orientation et d’évolution. Et ce, sur la base de 5 scénarios dont « Climat, viser la neutralité carbone », qui se base sur une diminution forte de l’élevage et un encouragement au bas carbone. Les surfaces agricoles libérées le sont alors au profit des forêts qui progressent de 40% et l’agriculture se réoriente vers le bois (construction…) et les énergies renouvelables : méthanisation, photovoltaïque… Les systèmes évoluent vers plus d’autonomie et appuient un marché carbone fort, aujourd’hui plus favorable aux filières longues, car la production est jugée plus impactante que le transport lui-même.

Télécharger le magazine qui présente une synthèse de Prospective 2040

Prospective 2040

Les autres scénarios ont été rapidement évoqués, deux d’entre eux explorant néanmoins les thématiques développées par Utopies que sont la territorialisation et les nouvelles tendances de consommation :

  • Une agriculture bretonne territorialisée, avec une réduction de l’élevage, des questions environnementales fortes et moins d’emplois ;
  • Une végétalisation plus forte de l’agriculture avec des consommateurs qui abandonnent les produits animaux ;
  • Une agriculture bretonne en mode résistance, qui correspond à la poursuite des tendances actuelles ;
  • Priorité à l’économie : une production de masse qui vise l’export.

Communiquer !

Face à ces crises, Utopies conseille de repenser notre développement économique sur le plan local, avec tous ses acteurs rapprochés : agriculture, industrie et logistique. Il convient de poursuivre les recherches en innovation dans les semences, les process, la décarbonation, tout en intégrant les externalités telles que la fiscalité carbone, les réglementations environnementales et les changements de consommations. Sur ce dernier point, Rémi Mer, journaliste spécialiste des questions agricoles, a tenu à insister sur la communication auprès du consommateur pour entraîner une adhésion aux changements dus au bas carbone. L’opacité engendre des incompréhensions alors que la transparence peut réassurer, tel fut son message de conclusion à destination des quelque 120 personnes qui ont suivi cette conférence !

Retrouvez l‘ensemble de la conférence sur la chaîne Youtube de la Technopole Quimper Cornouaille

Organisé, chaque année, en partenariat avec Valorial, Adria, CCIMBO, et avec l’appui de Quimper Cornouaille Développement, cet événement porte sur les tendances, qu’elles soient de consommation ou, plus généralement, d’innovation dans les entreprises. Avec ialys, c’est toute la filière aliment qui s’y retrouve : artisans des métiers de bouche, mareyeurs, restaurateurs, agriculteurs, acteurs de la recherche, organismes de formations, mais aussi décideurs et animateurs du développement économique de la Cornouaille ! La conférence était animée par Serge Marshall, journaliste.

Rédaction : Dominique Pennec, Quimper Cornouaille Développement ; merci à Fabien Le Bleis Technopole Quimper Cornouaille !

Images par Sabine, Simón Delacre et Михаил Нечаев de Pixabay

 

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