Naturalité et clean label : jusqu’où peut-on aller ?

Publié le 13/12/2021 | Clean label

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Début octobre, le pôle de compétitivité Valorial a organisé à Quimper, avec Saint-Lô en visio, une Valorial’Connection sur la thématique de la naturalité et du clean label, en partenariat avec les centres techniques agroalimentaires bretons*. Plus de 135 industriels et chercheurs ont participé à cet évènement destiné à apporter aux entreprises des clés de compréhension des attentes des consommateurs, des méthodes pour s’en approcher et identifier des leviers pour valoriser leurs pratiques d’ores et déjà engagées en ce sens. Le sujet a été décrypté par Marie-Loïc Garin directrice du Centre Culinaire Conseil sur la base de travaux menés en 2021. Associations et entreprises ont illustré ses propos d’exemples d’applications produit, process ou filière, dans le cadre réglementaire rappelé par l’Adria. L’après-midi de cette Valorial’Connection a été dédié à la visite d’Actalia à Saint-Lô et de l’Adria à Quimper pour y (re)découvrir leurs services et équipements répondant aux problématiques de clean label.

Décrypter les représentations

Les travaux du Centre Culinaire Conseil ont consisté en une étude sémiologique, une étude qualitative avec des focus groupes et interviews d’industriels et consommateurs et une étude quantitative. Cette dernière a été réalisée par le LEGO (Laboratoire de Sciences Economiques et de Gestion de l’Ouest breton) auprès de 1139 personnes en France, dont 500 en Bretagne. Ces « Défrich’usages » ont montré que les consommateurs recherchent le bien manger pour retrouver le goût du vrai et des bons produits, respectant la saisonnalité, avec un idéal de cuisine maison et un approvisionnement en direct des producteurs… Se nourrir est devenu un acte d’engagement accéléré par la crise sanitaire et le confinement.

L’aliment peut aussi tuer

Le mouvement a débuté, comme rappelé par Etienne Guillocheau de Food Innov Group, avec la crise de la vache folle au tournant des années 90, au cours de laquelle on a réalisé que l’aliment pouvait aussi tuer. La volonté de se réapproprier son alimentation a débuté par le bio, pour des raisons environnementales, puis ont suivi les mentions « sans » (sel, sucre ajouté,…), la réduction des additifs et l’émergence d’applications mobiles telles que Yuka. Les pouvoirs publics s’en sont emparé avec la loi PACTE, la Loi d’Avenir pour l’Agriculture et ses Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) et la révision de la Politique Agricole Commune (PAC), alors que de nouvelles militances émergeaient : la cuisine végétale, le véganisme, L214…

La naturalité dans l’imaginaire du consommateur-citoyen

Comment se définit un produit naturel ? Sans additif, sans résidus, sans OGM, sans conservateur, et s’il est transformé, de bonne qualité avec peu d’ingrédients. Dans l’imaginaire du consommateur, c’est un produit frais, brut, sans traitement, qui donne du plaisir et reconnecte à des pratiques traditionnelles de production. Les représentations visuelles de la naturalité sont un produit qui sort de la terre. S’il est transformé, il est plus simple, a peu d’ingrédients et est surtout respectueux de tout l’amont : la terre, l’agriculteur. La naturalité, n’est pas liée qu’à la composition, mais plus largement à toute la chaîne, des matières premières à la distribution, en passant par la transformation. Il doit être fabriqué dans le respect du bien-être animal (avant même le respect de la planète selon l’étude du LEGO) et bon pour la santé. Les consommateurs plébiscitent un retour au bon sens et à une composition simple, mais sans transiger sur le prix et le goût ! (Lire à ce sujet la conférence ialys 2021 sur la sobriété)

Le clean label

Au regard de la réglementation, ainsi que l’explique Pierre Corre de l’Adria, si les notions de clean label et de naturalité sont généralement associées et peuvent parfois s’englober, il n’existe pas de définition du clean label. Ce sont les composants affichés qui « font » le clean label et les produits dits « sans », selon un article du Ministère de l‘Agriculture sur la naturalité. De fait, la naturalité se situe au-dessus du clean label orienté composition : elle se déploie sur les méthodes de fabrication, l’origine locale, la RSE… Symbole de cette attente, la démarche de l’association Merci les algues qui est engagée dans une démarche de filière durable de la mer jusqu’à l’assiette : du fournisseur de solutions algo-sourcées au fabricant de biscuits, par exemple pour la filière blé, en passant par l’agriculteur, le négociant…

Végétal et clean label

Si le végétal est porteur de la notion de naturel, en revanche, le véganisme engendre des contraintes fortes en terme de recettage, qui nécessitent des additifs et s’éloignent du clean label. Et ce, pour les produits que Camille Traoré, Responsable R&D au sein de la société Algama nomme « alternatives de copie », tels les steaks de soja, pour les différencier des produits naturellement végan ou alternatives d’usage, comme les carottes râpées. Le niveau de transformation de ces produits peut s’avérer plus élevé que pour les produits non végan. Et au-delà de ces questions de formulation qui se posent à la R&D, les contraintes organoleptiques sont un enjeu pour ces alternatives de copie, pour lesquelles la perte de goût a été un handicap, au début du véganisme. Si Algama intervient sur les reformulations, la société s’interroge sur ces alternatives de copie souvent plus élaborées, qui s’éloignent de la naturalité et du clean label…

Les process

En terme de reformulations, les entreprises peuvent s’appuyer sur les acteurs de la recherche tels que le GEPEA, Unité Mixte de Recherche associant Oniris, l’Université de Nantes, IMT Atlantique et le CNRS. Alain Le Bail et Eve-Anne Norwood, enseignants-chercheurs ont présenté un exemple poussé de recherche en panification, à travers l’utilisation d’une farine maltée pour en faire un ingrédient fonctionnel. Dans le cadre de stratégie clean label, les travaux de recherche s’appuient aussi sur le génie des procédés. A titre d’exemple, le pétrissage sous pression de CO2 peut être une alternative à la réduction, voire la suppression de poudres levantes dans la fabrication de cakes.

Un produit transformé naturel ?

Du point de vue des consommateurs, naturalité et clean label se limitent à des concepts marketing qui les rendent méfiants, selon les travaux du Centre Culinaire Conseil. En ce qui concerne la naturalité, le consommateur est bien conscient qu’à partir du moment où un produit est transformé, il n’est plus naturel. De la même manière, le produit « propre » étant le minimum obligatoire, la notion de clean label engendre de la méfiance vis-à-vis des produits précédents et/ou de ceux d’une même marque ou d’une même entreprise qui ne le mentionneraient pas. Sa défiance sera d’autant plus grande si le producteur-transformateur est une grande entreprise.

Au-delà du challenge technique de « recettage » pour la R&D, le défi est donc aussi celui du marketing et de la communication ! Si l’on ajoute le climat anxiogène, le consommateur est en partie perméable aux messages de réassurance. Comment alors communiquer sur cette naturalité, attendue par les consommateurs et déjà mise en œuvre dans les produits transformés ? Et ce, sur l’ensemble de la chaîne de l’amont à l’aval. Les industriels voient leurs efforts parfois incompris et jugent que les consommateurs ont une vision parcellaire et déformée, avec une méconnaissance de la composition, à l’image des produits qui seraient moins bons en termes de goût, si l’on supprimait certains ingrédients pour alléger la liste !

Communiquer pour rendre la confiance

La démarche est irréversible pour les consommateurs et les entreprises, mais il faut renouer le dialogue pour rétablir la confiance, selon Marie-Loïc Garin, et il est nécessaire de rassurer. Le consommateur cherche à retrouver une alimentation sereine, à prendre ses décisions lui-même et à faire appel au bon sens. Il faut lui rendre cette insouciance pour qu’il évite de se poser trop de questions. Et surtout déconstruire les représentations erronées, avec pédagogie, démystifications, et ce, dès le plus jeune âge, pour éduquer à la notion de goût, d’alimentation.

L’information sur le clean label doit être mise en avant comme une démarche vers un process plus clean et vers moins de transformation. Mais elle doit être limitée, sinon elle suscite la suspicion. Seules les données essentielles doivent être inscrites sur le packaging, à commencer par la partie réglementaire. En revanche, il faut rendre disponibles les informations sur toute la chaîne, dire ce que l’on fait bien et être irréprochable sur ce que l’on avance. C’est ce que pratique Merci les algues avec l’application Scan’up qui lui permet de « dialoguer » avec les consommateurs de produits estampillés Merci les algues. De cette manière, ils ont été interrogés et ont permis, avec cette démarche de co-création, de communiquer au mieux sur les bénéfices des algues.

La réglementation

Le minimum, en termes d’affichage, revient aux questions réglementaires. Si les contours sont variables selon qu’on se situe côté consommateurs, opérateurs ou côté autorités, la naturalité a néanmoins un cadrage en France qui couvre les produits bio et les produits clean label. Mais, s’agissant d’une allégation, comment l’apprécie-t-on ? Une doctrine administrative est utilisée depuis 2009, sur la base d’une concertation : des critères ont été élaborés au sein du Conseil National de la Consommation, organisme consultatif entre industriels, consommateurs et opérateurs, et la DGCCRF en tant qu’autorité de contrôle. Rappelons que des règles encadrent déjà l’usage des allégations « naturel », avec des critères réglementaires spécifiques à certains produits (définition des arômes naturels) et parfois avec des notions bien définies tels les eaux minérales naturelles, le thon au naturel ou le yaourt nature. Côté additifs, la réglementation française n’est pas restrictive dès lors qu’ils sont eux-mêmes naturels ou d’origine naturelle. Ça n’est pas forcément une réalité européenne.

Les ingrédients naturels

A ce titre, la société Solina France a présenté ses travaux de développement d’ingrédients qui passent par le sourcing des matières premières, les processus de transformation, la nutrition. Pour ce faire, des recherches sont menées en interne et à l’externe avec des chercheurs notamment, pour innover en s’inspirant de la nature et des interactions entre végétaux.

S’agissant d’allégations, Pierre Corre de l’Adria attire l’attention sur quelques points de vigilance et suggère de bien analyser les ingrédients et procédés de fabrication, de prendre en compte les différents marchés envisagés, d’éviter les distinctions abusives, c’est-à-dire ne pas induire le consommateur en erreur : c’est le principe de non-tromperie. Il rappelle d’éviter les allégations qui seraient valables pour tous les produits.

Etienne Guillocheau de Food Innov Group a tenu à rappeler que tout ne pourra se reformuler et que pédagogie et transparence resteront nécessaires. D’où l’importance d’une communication transparente et claire.

Quelle communication ?

Au-delà de l’étiquette et du packaging plébiscités par les consommateurs, il faut traiter l’ensemble des supports : affiches, site internet ou réseaux sociaux. Les visites d’usines peuvent être de bons médias directement auprès du public, mais aussi pour alimenter la presse et rétablir une communication moins à charge. A ce titre, Marie-Loïc Garin souligne l’intérêt, en communication, de s’appuyer sur les tiers de confiance, acteurs de la pédagogie : les associations, les scientifiques, les institutionnels, les commerces de proximité, les pouvoirs publics, sachant qu’en termes de confiance, la proximité est primordiale. A l’image de l’influence de Merci les algues, sur les produits à base d’algues.

Il convient de trouver le bon niveau entre ce qui est porté par le discours et le produit lui-même qui doit porter les notions de naturel, alors que l’étude sémiologique a montré que seule la nature peut porter cette valeur ! Les axes de valeur identifiés sont le rationnel et la sensibilité, d’une part, et les valeurs utopiques et pratiques, d’autre part, qui symbolisent le besoin d’un équilibre entre elles, pour les consommateurs. Le packaging doit alors se limiter à l’essentiel, avec un design plus minimaliste, pour symboliser le « sans », la nature archaïque et à l’état brut, avec l’angle tradition/terroir/authenticité, nécessaire pour certains publics, ou la nature cosmique et son équilibre/harmonie, pour d’autres.

Alimentation bio précurseur et accélérateur de la naturalité ?

Le bio a pu apparaître comme un outil pour cette naturalité. Même si la consommation en bio a doublé ces 5 dernières années, le marché reste limité à 6,5 % de la consommation des ménages. Stéphanie Thébault, Directrice de Initiative Bio Bretagne rappelle que cette hausse est, de surcroît, liée au chiffre d’affaires qui s’est développé en grande distribution. Cette visibilité accrue expose aux attaques. Or les consommateurs reprochent au bio de grande distribution d’être fortement importé et suremballé et sont conscients que le bio ne fait pas tout.

Les labels AB, Démeter, Nature & Progrès ne suffisant désormais plus, ils sont devenus une entrée, à laquelle viennent s’ajouter les super labels : bio équitable en France, clean label, bio et breton, EPV… Et en termes de produits-mêmes entrent en force le végétal, issus de semences paysannes, les produits lacto-fermentés, les produits « santé », et le retour du vivant périssable. Enfin, au-delà des démarches produits se développent de nouveaux labels tels que « territoire engagé » (à partir de 20% de produits bio en cantine), Ecocert en cuisine ou Terre de sources.

Retrouvez en ligne la visite de l’Adria à Quimper

*Cette journée était co-organisée avec ACT Food Bretagne, Adria Développement, Biotech Santé Bretagne, Ceva et ID Mer.

Rédaction : Dominique Pennec, Quimper Cornouaille Développement. Merci à Fabien Le Bleis de la Technopole Quimper-Cornouaille, à Valorial pour l’invitation

Et, pour les photos, merci à Ti Boom, La Marmite de Lanig, Pixabay 089Photoshootings, Pastel100, Klimkin, Atulcodex

 

 

 

 

 

 

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